dimanche 16 décembre 2007

Séance du 22/03/07









(cliquer sur les images pour les agrandir)

  • Lemaire-Poussin : Andromaque confie Astyanax à Ulysse (XVIIe siècle)
  • Callot : Le siège de La Rochelle (XVIIe siècle)
  • Baugin : Les cinq sens (1630)
  • Messina : San Sebastiano (1475)
  • Laurana : La cité idéale (XVe siècle)
  • Rethel : La Mort triomphante (1849)
  • Goya : Le sommeil de la raison engendre des monstres (1803)
  • Delacroix : Cheval effrayé par un orage
  • Delacroix : Tigre attaquant un cheval (1828)


Ordre du jour

1/ Liszt - Chasse sauvage

2/ Berlioz et Wolf
3/ Madrigal de Monteverdi

4/ Paul Valéry - Eupalinos ou l'architecte


1/ Liszt - Chasse sauvage

C’est une pièce à programme qui dépasse le simple principe de l’étude. Elle fait référence à Mazeppa. Celui–ci était tombé amoureux d’une comtesse et fut condamné à galoper nu sur un cheval pendant 3 jours Il fut plus tard élu roi d’Ukraine. On voit une identification de Liszt à ce personnage.

Définition de la transcendance : C’est un terme fort qui dépasse la raison et la matière. Elle est au delà de l’entendement humain (de l’expérience, également), et d’une nature absolument supérieure, d’un autre ordre (cf. Pascal, les trois ordres de la matière, de l’esprit et de la charité). Par opposition à l’immanence, qui fait référence à ce qui est à l’intérieur de l’être ou de la chose pensée, alors que la transcendance se réfère au dehors.

Une certaine partie du nouveau roman fait appel au style descriptif, objectal de la matière et des objets (cf. un procès verbal de police) et refuse la transcendance. Le lecteur doit chercher seul l’au-delà de l’œuvre.

Idée de la chasse

On peut distinguer deux niveaux de lecture de la chasse :

- Référence à la chasse comme droit républicain. C’est une conquête révolutionnaire. On s’attache alors au sens matériel et réaliste.

- Le second sens renvoie à la dialectique poursuivant/poursuivi. C’est un thème cher aux romantiques. On note la présence du cheval, animal symbole de liberté. Voir le tableau de Delacroix ci-dessus.

Mise en relation avec le roi des Aulnes : le père et l’enfant sur un cheval qui galope. Par qui sont-ils poursuivis ? Qui est ce Roi des Aulnes qui les poursuit ?

Mise en relation avec la jeune fille et la mort : autre relation poursuivant/poursuivi.

Dans le système baroque la chasse est considérée comme un divertissement social.


2/ Berlioz et Wolf

Ecoute : Berlioz - La damnation de Faust (scène 17 : récitatif et chasse)

C’est une course à l’abîme. Ici l’espace est créé par la vitesse. Il se creuse avec l’accélération du motif qui se déforme en poursuivant Faust. La vitesse peut transcender la notion de temps de l’être humain.

Ecoute : Wolf - Le cavalier de feu, pour chœur et orchestre

Mise en relation avec le tableau de Delacroix : Cheval effrayé par l’orage.

Les Romantiques veulent retrouver le caractère primitif de l’être humain dominé par des puissances qui le dépassent. Ils recherchent avant tout la force et la virginité des sensations. Franklin et son paratonnerre désaliènent l’être humain, car avant l’explication rationnelle, la foudre est l’arme privilégiée des dieux et leur appartient sans partage pour qu’ils manifestent ainsi leur puissance, et la crainte qu’ils inspirent. Idée de Sturm und drang

Le sauvage fait référence aux pulsions et à la sexualité.

Au XIXe il n’y a pas de réelle liberté sexuelle, en particulier pour la femme. C’est le règne de la bourgeoisie conquérante avec une moralisation étroite de la société (cf. le style Biedermeier en Allemagne). Au-delà d’un XVIIIe plus « libérateur » de ce point de vue, c’est un retour à la soumission de l’esprit à un pessimisme qui rappelle le XVIIe (jansénisme, prédestination). C’est la répression de la liberté de l’être par rapport à lui-même grâce à la doctrine religieuse : après les «ravages» de l’esprit des Lumières et ceux entraînés par la Révolution française étendue ensuite à l’Europe, il faut lutter contre ces Lumières au nom de la religion catholique. Cette «mort de l’intelligence» évoque chez le moderniste Goya la gravure Le sommeil de la raison engendre des monstres.

Gravure de Rethel

Figure de la mort chevauchant sur les barricades. Ici, l’idée de la mort est liée à la révolution vue par l’Ordre moral de la Sainte Alliance.


3/ Monteverdi - Hor che ciel e la terra… (du VIIIe livre de madrigaux)

Texte de Pétrarque (1304 1374)

Rappel du pouvoir matériel et spirituel de la papauté

Pétrarque travaille comme fonctionnaire à la cour pontificale, qui a quitté Rome pendant la plus grande partie du XIVe pour s’établir en France (domination des Français dans le Sacré Collège des cardinaux électeurs du pape), en Avignon.

L'expression "aller à Canossa" (faire pénitence) fait référence à la querelle des investitures (1067 à 1122). Rupture entre Henri IV et le pape Edouard VII (1077) : qui, du pape ou de l’empereur, peut accorder l’investiture spirituelle ?

Pétrarque, amoureux de Laure, devenue le symbole de la femme idéale jamais atteinte (cf. Dante et Béatrice), ou bien perdue aussitôt que trouvée. Il se réfère à la poésie latine et grecque, qu’il connaît bien. Se rappeler que l’Italie a «inventé» la Renaissance avant le reste de l’Europe, a travaillé sur les manuscrits antiques («retour» de Constantinople), notamment la pensée de Platon et des néo-platoniciens (cour des Médicis à Florence). Pétrarque, dans son écriture, invente lui aussi une formulation complexe qui évoque pour les modernes la future «préciosité» et se réalisera plus tard dans le cadre baroque chez les Italiens (le Chevalier Marini : «marinisme») et les Espagnols (Gongora : «gongorisme»). Les symbolistes et Mallarmé ou Valéry seront très sensibles à cette écriture «retrouvée» dès la fin du XIXe, en même temps que les vertus du baroque visuel (pour la musique, il faudra attendre bien plus tard, au milieu du XXe).

Dans ce madrigal, on retrouve l’expression de la pulsion, du désir, de la réalisation, de la transcendance, du rapport à l’immensité de l’univers sensible et imaginaire. Les instruments en sont le chromatisme, le figuralisme, l’antithèse.

Premier quatrain : immobilité de l’univers
Deuxième quatrain : antithèse mort / vie brûle / pleure. Le poète prend la parole et avec lui l’être humain.

Utilisation du figuralisme : chromatisme descendant = mort, ascendant = vie.

Ecoute : début et fin du Combat de Tancrède et Clorinde (sur un poème du Tasse)

On retrouve l’idée du combat (cf. "madrigaux guerriers et amoureux") et tout le système métaphorique. Utilisation de trémolos pour symboliser les tremblements. Accélération, galop.

Rappel : le concile de Trente, en réaction à la Réforme, donne le primat à l’image expressive (visuelle, auditive, poétique), et préfère l’éloquence émotive à la lecture et la méditation des textes sacrés.

A la mort de Clorinde, l’espace s’ouvre vers le haut. Idée de la mort qui donne naissance à la vie. Et la vie éternelle ? Rôle de la mystique dans les systèmes et doctrines des religions, contre les institutions : accès direct à Dieu, illumination.

Perspective et mise en espace : à partir de l’invention prêtée à l’architecte florentin Brunelleschi (1377-1446), nombreuses expérimentations sur l’idée de la cité idéale, représentée en peinture notamment par Luciano Laurana (1420-1479). On note qu’il n’y a que très peu d’êtres humains : l’espace est un idéal géométrique, un symbole (de la perfection architecturale, urbanistique, mathématique en général), un «lieu à remplir» - par exemple avec des scènes religieuses, cf. le Saint Sébastien d'Antonello da Messina, «intégré» à la ville antique (architecture) et moderne (personnages contemporains du tableau).

L’espace peut être ultérieurement utilisé de façon interne, «microcosmiquement», ainsi dans les natures mortes des Hollandais ou des Français du XVIe et du XVIIe, comme Lubin Baugin. Au contraire, dans le macrocosme «minutieux» de la gravure de Jacques Callot (voir ci-dessus), les êtres humains pullulent : on se perd dans la multitude pourtant «ordonnée» par le stratège puis le graveur ; comme dirait René Char, «ailleurs la nuit est gouvernée»…

Autre exemple pris dans le tableau de Lemaire-Poussin.


4/ Paul Valéry - Eupalinos ou l'architecte (1921)

SOCRATE : Eh bien, Phèdre, voici ce qu’il en fut : je marchais sur le bord même de la mer, je suivais une plage sans fin... Ce n’est pas un rêve que je te raconte. J’allais je ne sais où, trop plein de vie, à demi enivré par ma jeunesse. L’air, délicieusement rude et pur, pesant sur mon visage et sur mes membres, m’opposait un héros impalpable qu’il fallait vaincre pour avancer. Et cette résistance toujours repoussée faisait de moi-même, à chaque pas, un héros imaginaire, victorieux du vent, et riche de forces toujours renaissantes, toujours égales à la puissance de l’invisible adversaire... C’est là précisément la jeunesse. Je foulais fortement le bord sinueux, durci et rebattu par le flot. Toutes choses, autour de moi, étaient simples et pures : le ciel, le sable, l’eau. Je regardais venir du large ces grandes formes qui semblent courir depuis les rives de Libye, transportant leurs sommets étincelants, leurs creuses vallées, leur implacable énergie, de l’Afrique jusqu’à l’Attique, sur l’immense étendue liquide. Elles trouvent enfin leur obstacle, et le socle même de l’Hellas ; elles se rompent sur cette base sous-marine ; elles reculent en désordre vers l’origine de leur durée. Les vagues, à ce point, détruites et confondues, mais ressaisies par celles qui les suivent, on dirait que les figures de l’onde se combattent. Les gouttes innombrables brisent leurs chaînes, une poudre étincelante s’élève. On voit de blancs cavaliers sauter par-delà eux-mêmes, et tous ces envoyés de la mer inépuisable périr et reparaître, avec un tumulte monotone, sur une pente molle et presque imperceptible, que tout leur emportement, quoique venu de l’extrême horizon, jamais toutefois ne saurait gravir... Ici, l’écume, jetée au plus loin par le flot le plus haut, forme des tas jaunâtres et irisés qui crèvent au soleil, ou que le vent chasse et disperse, le plus drôlement du monde, comme bêtes épouvantées par le bond brusque de la mer. Mais moi, je jouissais de l’écume naissante et vierge... Elle est d’une douceur étrange, au contact. C’est un lait tout tiède, et aéré, qui vient avec une violence voluptueuse, inonde les pieds nus, les abreuve, les dépasse, et redescend sur eux, en gémissant d’une voix qui abandonne le rivage et se retire en elle-même ; cependant que l’humaine statue, présente et vivante, s’enfonce un peu plus dans le sable qui l’entraîne ; et cependant que l’âme s’abandonne à cette musique si puissante et si fine, s’apaise, et la suit éternellement.

Aucun commentaire: